Une petite promenade dans Paris qui vous réservera bien des surprises. Venez, Louis vous emmène, il connait bien le coin ! Et depuis plus longtemps que vous ne le pensez ! Voyez plutôt !
Louis descend au métro Châtelet. Il jette un œil à son téléphone portable pour vérifier l’heure du rendez-vous dans ses SMS reçus, mais il la connait par cœur, évidemment ! Comment pourrait-il l’oublier ? Il en profite pour répondre à Charles qui lui propose une pizza ce soir. Il verra bien. Il ne peut rien dire pour le moment. Cela dépendra de tant de choses. A commencer par sa rencontre avec Élisabeth. Il y a huit jours qu’il ne l’a pas vue. C’est elle qui a repris contact. Elle a appelé chez ses parents. C’est sa mère qui a décroché. Il était tout rouge quand elle lui a passé le combiné et il a attendu qu’elle quitte le salon pour prendre la communication.
Il a envie de marcher un peu. Il aurait très bien pu prendre le 7 et descendre directement au point de rendez-vous (il y a une station de métro) mais il adore la ligne 14. Cette ligne complètement automatique le grise un peu. Voir tous ces gens, lisant le journal ou écoutant de la musique sans s’occuper des autres, emmenés par un conducteur invisible l’impressionne vraiment. Le progrès l’étonne chaque jour.
Élisabeth… Il l’a connue le 10 mai, place de la Bastille lors de la soirée d’élection de Mitterrand. Une soirée qui restera dans toutes les mémoires. A commencer par la sienne. Il a été de tous les meetings, de toutes les réunions politiques. Et cette victoire n’était pas volée. N’en déplaise à son père qui avait plutôt soutenu Pompidou. Élisabeth et lui sont du même camp. C’est déjà ça !
Il fait beau dans ce milieu du mois de mai et Louis profite du soleil printanier. Il regarde sa montre et constate qu’elle est arrêtée. Il a dû oublier de la remonter hier soir avant de se coucher. Le gardien du square de la tour Saint Jacques est juste là devant lui. Il l’interpelle et lui demande l’heure. 11h30 : il a le temps de faire un petit tour. Il prend à droite dans la rue de Rivoli au lieu de prendre à gauche, comme il le devrait, pour rejoindre Élisabeth. En fait, il s’éloigne, mais ce n’est pas grave. La rue est bien dégagée ce matin. Ce n’est pas comme la semaine dernière où les manifestants l’avaient investie dans toute sa longueur. Les étudiants de la Sorbonne et ceux de Saint-Michel, une fois en colère, on ne peut plus les arrêter. Les combats ont été rudes. Europe numéro un l’a parfaitement relaté dans le journal de Jacques Paoli spécialement consacré à la situation actuelle. Il faut dire que le départ de De Gaulle à Baden-Baden n’a rien fait pour arranger les choses. Maintenant il est là, de retour. Mais il va falloir qu’il s’explique.
Ne pas trop s’éloigner quand même sous peine d’arriver en retard ! Ça la ficherait mal pour un premier rendez-vous. Il décide pourtant de pousser jusqu’à l’hôtel de ville. Il adore cet endroit. Mais comme à chaque fois qu’il passe là, la vue de la croix gammée qui flotte sur le bâtiment et les deux gardes de la Wehrmacht devant l’entrée principale lui font mal au ventre. Peut-être un jour reverra-t-on le drapeau français. C’est du moins ce qu’il souhaite au plus profond de lui. Il jette un œil sur les pancartes écrites en gothique au coin de la place de l’Hôtel de ville et du quai de Gesvre. Il va revenir par l’avenue Victoria, c’est plus prudent. Louis aime cette avenue. Elle a été baptisée ainsi il y a peu de temps, en souvenir de la venue à Paris de la Reine d’Angleterre. Louis ne l’a aperçue que de loin. Son carrosse doré déboulait juste de la toute nouvelle rue de Rivoli où l’empereur l’attendait. Il faut dire que Paris est méconnaissable en ce moment. Le baron Haussmann a décidé de percer de grandes artères pour supprimer les quartiers dangereux, et surtout pour pouvoir donner le canon en ligne droite en cas de révolte populaire. Les événements de 48 lui donnent raison !
Au loin, de l’autre côté de la Seine, Louis aperçoit les tours de Notre Dame. Le calme est enfin revenu autour de la Cathédrale. Il repense avec nostalgie au sacre de l’Empereur et de Joséphine en décembre dernier. Il n’avait pas pu entrer évidemment, mais il avait participé à l’événement avec la foule des parisiens. Fièrement, il peut dire « j’y étais ». Il faut dire que ce mois de décembre n’a été que fêtes et festivités diverses pour la gloire de l’Empereur. Maintenant, les décorations ont été retirées et la vie a repris son cours habituel. La guillotine a été démontée de la Place de la Révolution. Danton et Robespierre ont suivi le chemin du Roi. Ce n’est pas un mal, pense Louis. Ce temps de la terreur n’avait que trop duré.
Loin devant lui, Louis aperçoit enfin les jardins qui entourent le palais du Louvre. Il a bien marché. Il pense à Élisabeth. Il ouvre sa redingote qui lui donne un peu chaud. Par contre, il conserve son chapeau. Il faut dire que les deux plumes de paon qui la surmontent lui donnent fière allure. Le quartier est beaucoup plus calme. La folie royale n’est plus là depuis que le roi et sa famille ont décidé de quitter Paris pour Versailles. Les rues sont plus sûres. Il y a surtout beaucoup moins de carrosses qui roulent à tombeau ouvert comme on dit. Il s’en est fallu de peu qu’il se fasse renverser par une diligence la semaine dernière ! Pourtant tirée par huit chevaux. Il aurait dû l’entendre ! Mais il pensait à Élisabeth ! Encore et encore ! Ah quand on est amoureux !!!
Soudain, un bruit de foule attire son attention. Louis se retourne. La population parisienne court dans tous les sens. Il a dû se passer quelque chose. Cela vient de la rue de la ferronnerie. Il aperçoit là-bas, vers le milieu de la chaussée, une charrette de paille qui barre le passage. Étrange. « Que se passe-t-il ? » demande-t-il à une femme qui passe près de lui. « C’est le roi, le bon roi Henri, répond-elle sans même s’arrêter. Il parait qu’il a reçu un coup de couteau. On dit que c’est grave ! Il a été ramené au Louvres. Priez pour lui Monsieur, priez pour lui ! Faites que notre Roi survive !» Quelle catastrophe ! Un roi si fort et si près du peuple, qui a tant fait pour les protestants et pour les pauvres gens.
Midi, l’heure Élisabeth est enfin arrivée. En nage, Louis arrive près du chantier du Pont Neuf où il doit attendre la jeune fille. Il espère juste qu’elle ne sera pas arrivée avant lui. Un homme ne doit pas se faire attendre, ça ne se fait pas ! Visiblement non, elle n’est pas là. Louis retire sa veste, la plie et deux et la pose nonchalamment sur son bras. Faire celui qui n’attend pas. Il ne faut pas donner à Élisabeth l’impression qu’elle est en retard. Il se tourne vers le pont en construction. Il est encore loin d’être terminé. Il se souvient encore de la pose de la première pierre par Henri III, il y a de cela cinq ans. « Tiens, c’était au mois de mai aussi », se dit-il. A la vitesse où cela avance, il faudra encore au moins deux ou trois ans de travaux.
Mais, quand il sera achevé, ce premier pont de pierre de Paris, le seul à traverser entièrement la Seine, lui fera gagner un temps précieux lorsqu’il viendra chercher Élisabeth à la sortie de son travail. Elle est vendeuse au rayon librairie de la FNAC, tout près de la gare Montparnasse.
Le Pont Neuf, contrairement à son nom, est le plus ancien pont de Paris. Il traverse la Seine à la pointe Ouest de l’île de la cité. Construit à la fin du XVIe siècle et terminé au début du XVIIe, il doit son nom à la nouveauté que constituait à l’époque un pont dénué d’habitations et pourvu de trottoirs protégeant les piétons de la boue et des chevaux. Il est aussi le tout premier pont de pierre de Paris à traverser entièrement la Seine. C’est Henri III qui prend la décision de le faire construire en 1577. Il en pose lui-même la première pierre le 31 mai 1578. C’était un mercredi !