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Les mots d'Amor-Fati

Jean-Marc Bassetti

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Catégorie : Uchronie

Le bal des femmes

30 décembre 201930 décembre 2019 Amor-Fati

Irène de Lalanne est magnifique ce soir. Tout Paris bruisse de son élégance naturelle, de son charme presqu’animal. Les hommes se retournent sur son passage dans les rues de la capitale. Mais, même si elle aime être regardée, elle n’y attache que peu d’importance. Son cœur est pris, et c’est une femme fidèle. Elle est, depuis dix ans bientôt ; l’épouse du riche Comte Xavier Isoard de Vauvenargue, dont le grand-père était un proche de Lucien Bonaparte, frère de l’Empereur. Sa famille est depuis plusieurs siècles propriétaire du château de Vauvenargue, au pied de la Montagne Sainte Victoire, près d’Aix en Provence.

Lorsqu’il réside à Paris, le couple et ses deux enfants vit au 13, avenue de Ségur, tout près de l’école militaire, dans un riche hôtel particulier. C’est ici que ce soir, Madame la Comtesse donne un bal.

Un bal un peu particulier.

Ce bal est donné à la demande expresse de la Duchesse d’Alençon, sœur cadette de l’Impératrice Elisabeth d’Autriche, plus connue sous le nom de Sissi. Il est en effet impossible à Sophie-Charlotte de donner un bal à son domicile, puisqu’elle loge au tertiaire Saint Dominique et qu’il n’est pas coutume de donner une telle réception dans ce lieu de silence et de méditation. Irène a donc accepté de bonne grâce.

« Quelle belle journée nous avons eue aujourd’hui, commente la Comtesse de Valin. Il y a déjà plusieurs jours que le soleil nous fait honneur de ses rayons. Le printemps promet d’être fort agréable.

— Absolument, confirme la Comtesse d’Hunolstein. Derrière mon petit bureau, il faisait une chaleur épouvantable. J’ai dû sortir deux fois dans la rue Jean Goujon pour prendre un peu l’air.

(Il faut dire, sans vouloir être mauvaise langue, que Laure d’Hunolstein allait sur ses soixante ans et que les effets de la ménopause la gênaient considérablement.)

— Oui, je vous ai vue revenir dans le milieu de l’après-midi. Votre stand était bien placé, mais proche du cinématographe, ce qui n’arrangeait rien question chaleur, ajoute la Comtesse de Luppé. Moi, j’étais avec Sœur Electa, des filles de la Croix Saint André, beaucoup plus loin, vers le fond de la salle.

— C’était Sœur Electa ? interroge Madame de Carayon Latour. Mon Dieu je ne l’ai pas reconnue.

— Absolument, confirme Louise de Luppé. Il faut dire qu’elle va sur ses soixante-douze ans et qu’elle a été bien souffrante cet hiver. C’était une se ses premières sorties. Je lui avais fait aménager une chaise haute pour qu’elle ne se fatigue pas trop.

Mais voilà qu’entrent les musiciens qui vont animer la soirée. Violons, violoncelles, alti et contrebasses se mettent en place et accordent leurs instruments. Pendant ce temps, Louise Pédra, baronne de Saint Didier, règle le tabouret de son piano. Un coup d’œil rapide permet de se rendre compte que tous les musiciens sont des musiciennes. Il y a là Claire Moisson, Isabelle Maison, Joséphine Saintin, Louise Terre, Mathilde de Weissweiller et même Alice Jaqmin, qui, à peine âgée de dix-sept ans, donne ce soir sa première représentation sous l’œil attendri de sa tante Louise également présente. Mais Alice n’est pas la plus jeune de la soirée. Madame Cuvellier, épouse du célèbre notaire parisien a tenu à présenter à ses amies sa fille Ester, à peine âgée de cinq ans. Sa bonne la ramènera de bonne heure. Elle a encore besoin de beaucoup de sommeil.

Soudain, le silence se fait. La maîtresse de maison se place près du piano et tousse légèrement pour attirer l’attention.

— Mesdames, Mesdemoiselles, mes amies. Je tiens à vous remercier toutes de votre venue ce soir chez moi. C’est un grand honneur que m’a fait Madame la Duchesse d’avoir choisi ma demeure pour ce bal un peu spécial.

Quelques rires fusent dans la salle. Tout le monde comprend l’allusion de la Comtesse.

— Mais pour vous en parler mieux que moi, je laisse la parole à son Altesse Sophie Charlotte de Wittelsbach, duchesse d’Alençon.

C’est une femme marquée par la vie qui monte sur l’estrade. Les couches difficiles et les maladies ont eu raison de sa beauté passée. Agée de cinquante ans, la Duchesse n’est plus que l’ombre d’elle-même.

—  Mes amies, commence-t-elle, je vous remercie à mon tour du fond du cœur, non seulement pour votre présence ce soir, mais surtout pour votre disponibilité pendant ces quatre jours qu’a duré notre vente.

Quelques applaudissements discrets saluent les derniers mots de la Duchesse.

—  L’année prochaine, nous tâcherons de faire encore mieux. L’événement se déroulera à nouveau dans la première semaine de mai et nous espérons attirer encore plus de monde. D’ici là, peut-être d’autres manifestations auront-elles lieu ailleurs dans Paris, au profit des pauvres et des nécessiteux comme celle que nous venons de vivre. Depuis 13 ans maintenant, cette réunion caritative apporte sa pierre à l’édifice, comme on dit, pour venir en aide aux enfants des bas quartiers parisiens. Merci aux généreux donateurs, merci à vous, Mesdames, merci à la célèbre céramiste Camille Moreau-Nélaton pour sa présence cette année.

Les applaudissements fusent cette fois. Tout le monde est heureux mais fatigué. Cette vente de charité de quatre jours est l’apogée de toute une année de préparatifs, de réunions et de travail acharné.

— Merci encore à Madame la Marquise de l’Isle, à ma chère amie la Marquise Julia de Bouthillier-Chavigny, à la Comtesse Couret de Villeneuve et à Jeanne de la Blotterie pour leur présence régulière à toutes nos manifestations. Et maintenant, puisque cette année, les hommes sont étrangement absents, nous allons pouvoir finir la soirée en dansant entre nous. Mesdames, que Dieu vous bénisse de sa Sainte Grâce et rendez-vous l’an prochain pour la quatorzième vente du Bazar de la Charité. »


Ce texte est évidemment une uchronie. Il n’y eut hélas pas de quatorzième vente du Bazar le Charité.

La treizième édition ne dura d’ailleurs que deux jours au lieu des quatre prévus.

Le 4 Mai 1897, l’établissement situé rue Jean Goujon, dans le huitième arrondissement, fut la proie des flammes qui le détruisit en moins d’un quart d’heure, faisant cent vingt-huit victimes : cent vingt-et-une femmes et sept hommes.

Toutes les femmes citées dans ce texte ont péri brûlées vives lors de cet incendie. La Duchesse d’Alençon a, parait-il, fait preuve de beaucoup de courage et de détermination pendant l’incendie. Elle a activement aidé à faire sortir de nombreuses personnes, mais elle n’a pu rejoindre son mari qui l’attendait à l’entrée de l’établissement. Son corps calciné a été identifié par son dentiste.

 

 

 

 

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Homer Hémor.

13 mai 2014 Amor-Fati

homerLa nouvelle est tombée tôt en début d’après-midi. Le monde de la télévision et du dessin animé est en deuil.

Homer Simpson est mort.

Le célèbre héros de la série qui porte son nom a été retrouvé allongé dans sa salle de bains un donuts bleu outremer à la main et un litre de bière renversé sur le carrelage près du corps.

Il est encore trop tôt pour décrire précisément les conditions de la disparition de l’idole jaune la plus célèbre du monde. Il semble qu’il ait trainé hier soir chez Moe’s, son bar préféré de Springfield comme c’est son habitude depuis sa séparation avec Marge en janvier dernier. Une séparation qui n’a fait qu’empirer son goût immodéré pour l’alcool et les stupéfiants de tous styles.

Nous avons tenté de joindre Bart au téléphone mais le fils de Homer ne souhaite pas s’exprimer publiquement pour le moment. Il nous a juste déclaré que sa mère et sa sœur avaient appris la nouvelle au petit déjeuner en écoutant la radio et en mangeant une pizza. Lisa s’est immédiatement mise à l’écriture d’une sonate pour saxophone qu’elle jouera à l’inhumation de son père.

Depuis quelque temps, les amis de la famille Simpson avaient bien noté un changement dans le comportement de Homer. Mais de là à imaginer une issue fatale aussi rapide…

François Hollande s’est enfermé dans son bureau de l’Elysée afin de visionner l’intégralité des 25 saisons du héros disparu. Le Premier ministre, Manuel Valls, devrait le rejoindre plus tard avec des pizzas, des beignets et de la bière pour une soirée de crise.

Le président Obama interviendra à la télévision ce soir pour un hommage appuyé à la vedette internationale. Une journée de deuil internationale devrait être décrétée.

Devant la gravité des faits, l’annexion de l’Ukraine par la Russie est repoussée sine die, a déclaré le Président Poutine.

L’organisation d’une « marche jaune » dans toutes les grandes villes de la planète n’est pas exclue.

Bien entendu, vous pouvez déposer ci-dessous vos commentaires et hommages à celui qui a bercé nos journées et nos soirées et à qui nous devons tant.

Te voilà maintenant au paradis des vedettes, avec Batman, Mickey, Donald et Popeye, disparu dernièrement. Sois heureux et gave toi enfin de donuts sans craindre l’overdose.

Homer, nous ne t’oublierons pas.

JMB Ver sur Mer le 13 mai 2014. Reproduction interdite sans accord de l’auteur.

 

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L’arroseur arrosé

25 février 2014 Amor-Fati

effacer

Si mon réveil n’avait pas sonné,
S’il avait bien sonné
Mais que je l’avais ignoré,
Si une mauvaise nuit j’avais passée,
Si j’avais été dérangé
Au point de ne pouvoir me lever,
Si la crève de la semaine passée
Avait perduré,
Si j’avais mal digéré
Si j’avais eu une grosse diarrhée,
Si sur la savonnette j’avais glissé,
Si, en déjeunant,  je m’étais brûlé
Avec mon café,
Si cette nuit il avait neigé
Ou venté
Ou grêlé,
Si le portail électrique était resté coincé,
Si ma voiture n’avait pas démarré,
Ou si le moteur avait explosé.
Si la route avait été bloquée
Si on m’avait empêché
De passer
De rouler
D’arriver.

Si mon ordi avait buggé
Si le disque dur avait sauté
Si le réseau avait déconné
Si je n’avais pu travailler
Si je n’avais pas testé,
Testé et retesté
Le  programme que j’ai créé
Si j’avais sauvegardé
Avant de me lancer
Si dès que j’avais tenté
Tout avait fonctionné
Si je n’avais pas été forcé
De modifier une entrée
Je n’aurais pas cliqué,
Je n’aurais pas validé
Je n’aurais pas appuyé
Sur le bouton « Supprimer »

Je n’aurais pas bousillé
Des tonnes de données
Des heures de suées
Des milliers d’octets.
Je n’aurais pas annulé
En un clic assuré
Trois mois de PHP
Je n’aurais pas bombardé
Mon cerveau embrumé
De litres de café
Afin d’atténuer
La douleur déclenchée
Par ma souris pressée
De cliquer, de cliquer
Et encore recliquer.

Et vous qui me lisez
Certainement vous feriez
Autre chose que rester
Sur une chaise prostré
A lire mes pensées
A lire mes mots jetés
Sur l’écran d’un PC.

Ma vie aurait changé,
La vôtre aurait bougé
Si à onze heures passé
Je n’avais pas cliqué
Sur le mot « Supprimer ».

Pour qui aime inventer
Des histoires modifiées
Se faire ainsi piéger
Et ne pouvoir annuler
C’est ce qu’on pourrait appeler
L’arroseur arrosé.

©  JM Bassetti A Ver sur mer le Mardi 25 février 2014. Tous droits réservés.

 

 

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De @berlin.ddr à @berlin.brd

2 novembre 2013 Amor-Fati

porteClaire.muller@telekom.berlin.ddr à Bastian.lehmann@telekom.berlin.brd

 

Mon Amour,

Comme j’ai aimé notre promenade hier dans les rues de Berlin. Je suis heureuse que tu m’aies montré tous les coins que tu connais si bien. Il y a tant d’années que je ne les avais pas revus. Je te sentais bien près de moi, j’entendais ton rire, je voyais tes sourires. Le soleil était là qui nous inondait de sa lumière rassurante. J’ai aimé notre montée à Siegesaüle. De là-haut, la vue est tellement incroyable, presque infinie. On voyait même mon appartement là-bas, au loin. Ça m’a étonnée d’apercevoir ainsi mon quartier de si haut.

J’aime tant être près de toi mon Amour. Ta présence me rassure et me fait espérer des jours meilleurs pour notre vie future.

Demain, si tu le veux, c’est moi qui t’emmènerai visiter mon quartier. La dernière fois, tu avais aimé Unter den Linden, tu avais aimé l’Opéra-Comique et son bel escalier. C’est l’un de mes lieux de promenade préférés.

J’ai trouvé. Je te ferai visiter Lustgarten, près du canal, entre les deux branches de la Spree. Si le temps est beau, tu verras comme c’est joli et agréable. Les oiseaux sont nombreux et ils ont le cœur gai.

Ils peuvent voyager les oiseaux. Ils peuvent survoler ma maison et la tienne dans la même journée. Ah, si nous étions des oiseaux, Bastian… ce que nous serions heureux.

Mais ne nous plaignons pas trop. Nous pouvons nous écrire, nous voir, nous entendre, nous chuchoter des mots doux, ce que nos parents n’auraient pas pu faire. Combien de temps les régimes politiques résisteront-ils à la folie d’Internet ? Dans combien d’années les mails que nous nous envoyons arriveront-ils moins de deux heures après leur envoi ? Qui les lit ? Pourquoi faire ? Qui peut bien s’intéresser aux mots d’amour de Claire et de Bastian ? Tous mes sentiments sont-ils classés dans un dossier dûment étiqueté à mon nom sur un quelconque disque dur d’un serveur de Moscou ? Lorsque je chercherai un emploi, me reprochera-t-on de t’aimer ? de t’avoir aimé ?

Me promener avec toi dans les rues de la ville, c’est une chose si précieuse, si merveilleuse. Nous découvrons chaque jour de nouveaux endroits, de nouveaux bâtiments. Mais j’imagine le jour où je pourrai enfin te prendre la main, sentir ton souffle dans mon cou, entendre ton rire dans mon oreille, avoir en direct la réponse à une de mes questions, embrasser ta joue, tes lèvres, sentir ta peau.

Cette petite caméra que nous portons chacun est pour moi l’invention du siècle. Elle me permet de te voir, de t’entendre, d’avoir un peu d’intimité avec toi, même si le direct réel n’est pas encore possible. Combien de personnes travaillent dans l’ombre pour regarder les vidéos amateurs que nous nous envoyons de part et d’autre du mur ? Qu’est-ce qui justifie encore ces trois minutes de décalage ? Quand les autorités de mon côté exploseront-elles ? Je sens venir le jour où le flot des images sera si fort qu’il sera impossible de tout gérer, de tout contrôler.

Physiquement, ce mur est toujours là. Il nous empêche de nous voir vraiment, d’aller au cinéma ensemble, de dormir dans le même lit. Mais résistera-t-il encore longtemps à la poussée du numérique, aux mails, aux téléchargements, aux vidéos de plus en plus nombreuses et de moins en moins surveillées ?

L’internet sera peut-être notre porte de sortie.

Gorbatchev n’a pas réussi dans les années 90. Son assassinat a sonné le glas de nos espoirs d’une amélioration des relations entre l’est et l’ouest. Tous les ans, secrètement, nous célébrons l’anniversaire de sa disparition.

Mais chaque jour mon Amour, je sens ce mur se fendiller, se fragiliser sous les coups de boutoir d’une révolution numérique de plus en plus difficile à canaliser.

Bientôt ta vraie voix, bientôt tes bras, bientôt tes lèvres, bientôt ta peau contre la mienne. Si le mur a résisté si longtemps à la politique des hommes, il ne tiendra plus des années face aux vidéos de plus en plus nombreuses des amoureux berlinois. L’amour triomphera là où la politique a échoué.

Je t’aime Bastian. Je te le dis, je te l’écris chaque jour, mais tu n’es jamais le premier à l’entendre, à le lire. Je sais qu’il y a toujours, entre toi et moi, un homme ou une femme qui valide ce simple mot. Que des milliers de je t’aime comme les nôtres percutent chaque jour ce mur de pierre qui nous sépare et un jour, j’en suis persuadée, il s’écroulera et nous pourrons nous aimer pour de vrai.

Les baisers seront peut-être plus efficaces que les marteaux…

JM Bassetti 2 novembre 2013. Tous droits réservés.

Texte écrit en vue d’une participation à l’opération « Le mur de berlin n’est pas tombé » organisé par « Les Uchroniques » de l’université de Paris IV.

Lire l’article

uch.

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Dura lex, sed lex

4 septembre 2013 Amor-Fati

3159-sdf-banc-parcCe matin, un texte écrit en Avril dernier pour le blog L’ivre de Lire (www.livredelire.com) qui avait fait de moi son invité de la semaine.

Paulo était assis sur un banc, en plein soleil, sa bouteille débouchée posée près de lui. A ses pieds, deux chiens en mauvais état montaient la garde. Pas une garde très rapprochée, on ne peut pas dire. Si les animaux étaient imposants par leur carrure, ils n’auraient visiblement pas fait de mal à une mouche.

Ils étaient nombreux comme lui dans le pays  à passer leurs journées en plein soleil, à la vue de tous. Depuis le vote de la fameuse loi, ils savaient qu’on avait besoin d’eux et ne se privaient pas de se montrer.

Le gouvernement nouvellement élu avait sorti de sa manche un certain nombre de décrets dont personne n’avait jamais entendu parler pendant la campagne électorale. La première de ces lois avait été le brusque passage du temps de grossesse de neuf mois à quatorze. Le chômage était de plus en plus important, de plus en plus difficile à régulariser et toutes les mesures prises avaient été sans effet. Les congés de maternité étaient nombreux, longs et revenaient de plus en plus souvent. La solution la plus simple pour les rendre plus rares avait été trouvée après des nuits de discussion au parlement. Il suffisait simplement d’allonger la durée de la gestation. Le temps légal désormais était de quatorze mois. Les organismes féminins avaient dû se plier à cette nouvelle donne. Les femmes prenaient des cachets, des potions pour éviter d’accoucher comme elles avaient bêtement l’habitude de le faire. « Ce n’est qu’une question de deux ou trois générations, avait annoncé le ministre de la santé. Petit à petit, les corps vont s’habituer et bientôt, intégreront cette nouvelle donne. Dans vingt ou trente ans, les femmes pourront facilement conserver leur enfant quinze ou vingt mois, je vous en donne ma parole. Autant de main d’œuvre disponible pendant plus longtemps.»

Quelques mois plus tard, les horaires des marées avaient été aménagés en fonction de la saison touristique. Les communes du littoral avaient reçu un matin les directives du ministère de la mer et du tourisme. « A compter de ce jour, les marées seront hautes chaque jour de huit heures à vingt heures pendant les saisons touristiques. De cette façon, les touristes pourront profiter au maximum des plaisirs de la plage. La mer pourra ensuite baisser pour atteindre sa marée basse à partir de vingt heures. Des dérogations pourront être accordées afin de limiter encore le temps de marée basse selon les festivités locales. En dehors de ces périodes, les communes seront libres d’appliquer les horaires de marées qu’elles souhaitent en fonction des besoins locaux. Les dates des périodes touristiques sont annexées dans le document A1. »

S’en étaient suivies de nouvelles lois toutes aussi importantes les unes que les autres, telles que l’interdiction de fumer à son domicile de dix-huit à vingt-et-une heures, l’obligation faite à chaque automobiliste de porter un casque intégral, l’âge de la retraite à soixante-quinze ans, l’interdiction des fèves dans les galettes de rois ou la régulation des chutes de neige autorisées uniquement entre le sept décembre au matin et le dix-huit février au soir. Toutes ces mesures avaient permis de créer des emplois de vérificateurs qui passaient leur temps de travail journalier (douze heures pour les hommes, dix heures pour les femmes et huit heures pour les enfants) à vérifier la stricte application de ces décrets, n’hésitant pas à frapper chez vous à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit.

Paulo, SDF depuis plusieurs mois, but une nouvelle rasade de vin rouge. Il en avait le droit, puisqu’il était moins de dix-neuf heures. Après, il devrait se cacher ou boire du blanc. Il regarda autour de lui, guettant le client. Il avait été abordé, il y a trois jours par un homme avec qui il avait discuté affaires. Il avait également parlé à une vieille dame, mais ses propositions financières étaient moins intéressantes.

Il n’attendit pas longtemps. Un homme mince et distingué s’approcha. Il portait un cartable noir et une sacoche de skaï pendait à son épaule gauche. Il devait avoir une cinquantaine d’années. Une couronne de cheveux gris entourait son crâne dégarni. Il portait un costume impeccable et de ridicules mocassins à pompons convenablement cirés. Il s’approcha de Paulo et s’assit près de lui sur le banc.

« Je pense que ce sera pour cette nuit, chuchota-t-il à l’adresse de Paulo.

– Vous en êtes sûr ?

– Oui, un prêtre est venu ce matin, il a reçu l’extrême onction.

– Vous êtes sûr du prêtre ? Il ne dira rien ?

– Oui, il est des nôtres. Je réponds de lui personnellement.

– C’est bien.

L’homme transpirait. Il tripotait nerveusement sa sacoche de cuir maintenant posée sur ses genoux.

Un vérificateur de crottes de chiens passa près d’eux et jeta un coup d’œil inquisiteur sur les deux molosses tranquillement assis au pied de leur maître.

– Pas plus de deux crottes par jour hein ?

– Oui, oui, ne vous en faites pas, répondit Paulo. Ils ont l’habitude maintenant.

– Sinon….

– Oui, oui, je sais !

Le vérificateur s’éloigna, non sans se retourner une ou deux fois vers les chiens qui n’avaient pas bougé.

– On avait dix six mille, reprit l’homme à la sacoche.

– Vous aviez dit six mille. Moi j’avais dit huit mille.

– Vous êtes dur en affaire. Négocions.

– Non, pas de négociation possible. Si ce n’est pas vous, ce sera quelqu’un d’autre. Je n’ai que l’embarras du choix. C’est huit mille, à prendre ou à laisser.

– Bon, mais vous me ruinez.

– C’est vous qui êtes venu me chercher, je ne vous ai pas forcé la main.

– Je sais, mais ai-je le choix ? Vous savez bien que je suis obligé. Sinon, ça me coûtera le double, au bas mot.

– C’est votre problème, Monsieur, pas le mien. Alors, conclu ?

L’homme poussa un long soupir.

– Conclu. Mais vous m’assassinez.

Les deux hommes se serrèrent la main.

– Vous avez l’argent ?

– Oui, il y a huit mille dans la serviette. Vous pouvez vérifier.

Paulo se saisit du cartable de cuir, l’ouvrit et compta les liasses qu’il contenait.

– C’est bon, dit-il, ça me paraît réglo.

– A vous maintenant, demanda l’homme.

Paulo passa la main dans sa veste, fouilla dans la poche intérieure, sortit un portefeuille essoufflé d’avoir trop longtemps vécu et en tira sa carte d’identité.

– Voilà, dit-il. Comme convenu, c’est un ancien modèle. Vous n’aurez qu’à changer la photo et revoir le tampon. Il y a des gens qui vous feront ça pour pas cher.

– Je sais, répondit l’homme, j’ai une adresse.

A son tour, l’homme tira son portefeuille et tendit une carte d’identité à Paulo.

– Voilà, dit-il, c’est la carte d’identité de mon frère. A vous de faire le nécessaire.

– Pas de problèmes répondit Paulo. Il va mourir de quoi votre frère ?

– Cancer du poumon.

– Ah, c’est moche, reprit Paulo.

Il se leva et tendit la main à son interlocuteur.

– Allez, au plaisir, si j’ose dire, mais il faudra vous adresser à un de mes confrères, moi, je ne peux travailler qu’une fois, et puis, je vais sûrement quitter le pays avec votre argent.

– C’est mieux que vous partiez en effet. »

Les deux hommes se donnèrent une solide poignée de main et l’homme à la sacoche s’éloigna d’un pas lourd.

Depuis trois mois qu’il était interdit de mourir en été, les tractations dans ce genre étaient nombreuses. La mort était devenue hors la loi de juillet à septembre. Toute personne ayant un décès dans sa famille pendant cette période était condamnée à une amende proportionnelle à sa fortune et à celle du défunt. Un vaste trafic s’était organisé. Des SDF sans fortune ni héritier  vendaient à prix d’or leurs cartes d’identité que l’on plaçait dans la poche du mort. Le corps était ensuite abandonné quelque part en ville et les recherches sur l’identité du défunt ne donnaient rien. Les familles faisaient ainsi de grosses économies. Beaucoup de SDF étaient déclarés morts pendant cette période, ce qui arrangeait bien les statistiques du ministère de l’intérieur qui pouvait ainsi se vanter d’une baisse sensible du vagabondage.

A tout problème sa solution.

Mourir était interdit. C’était la loi. Dura lex, sed lex.

© JM Bassetti Avril 2013. Tous droits réservés.

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