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Jean-Marc Bassetti

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Catégorie : Uchronie

Pas de fraises cette année

29 mai 2013 Amor-Fati

fraises«  Ah Dieu que ces poulardes étaient bonnes ! Fort délicieuses ma foi, il y a longtemps que je n’en ai pas goûté d’aussi juteuses !

Le soldat étendit ses jambes sous la table. Depuis le début du repas, il avait ôté ses bottes crottées pour être plus à l’aise. L’odeur mâle embaumait toute la salle.

– Maître Höllert, je fais ici serment que quand la guerre sera finie, je reviendrai vous voir pour déguster à nouveau de ces volailles dont vous avez le secret.

– Ce sera un honneur, Monsieur le Maréchal, répondit le petit notaire.

– En attendant, il nous faut la terminer cette guerre, et la bien terminer surtout.

Le Maréchal de France se leva quelques minutes pour se délasser les jambes. Il se sentait lourd, peu enclin à la bataille.

Le Général Gérard, son officier en second, se présenta à la porte de la salle à manger.

– Monsieur le Maréchal, sans vouloir vous offenser, je pense qu’il est grand temps que nous fassions donner la garde.

– Foutre, répondit l’officier supérieur. L’Empereur se débrouille bien sans nous. Aux dernières nouvelles, l’issue de la bataille ne fait guère de doute. Nous arriverons pour porter l’estocade et ramener avec nous l’honneur de la victoire.

Il se tourna vers son hôte.

– Höllert, qu’avez-vous prévu comme dessert pour finir ce repas mémorable ?

– Un gâteau au chocolat et des profiteroles,  Monsieur le Maréchal. On m’a fait savoir que vous les adoriez. Elles ont été faites ce matin en votre honneur.

– Du chocolat ? Après tout ce gras ? Non, vraiment, ça ne me dit rien. N’avez-vous point quelque chose de plus léger ?

– Hélas non ! C’est qu’il n’est pas facile de se ravitailler par ces temps difficiles, répondit le maître de maison. Le marché de Walhain ne regorge guère de provisions en ce moment, nous prenons ce que nous pouvons.

– Monsieur le Maréchal, reprit Gérard, sans vouloir vous forcer…

– Je sais, Gérard, je sais, l’Empereur. Mais n’avez-vous donc que lui à la bouche ? Je n’ai pas eu mon dessert.

Le général Gérard n’était pas homme à se laisser faire si facilement. Il s’était illustré sur tous les champs de bataille de l’Empire et ne comptait pas rester les bras ballants.

– Emmanuel, hurla-t-il, tu fais ce que tu veux, mais moi j’y vais, avec hommes et canons. Je suis certain que Napoléon a besoin de nous. Ne restons pas là regarder pousser les fraises, je t’en prie.

– Des fraises ! Voilà ce que je veux pour mon dessert, petit Notaire. Un plat de fraises.

– Hélas, Monsieur le Maréchal, pas plus de fraises ici que de beurre en broche ! Le printemps a été pourri, les pieds ont gelé en terre et la fraise est chose rare en cette époque. Que ne voulez-vous pas de mes profiteroles ?

Le Maréchal se retourna avec colère, se baisa sous la table, ramassa ses bottes et les enfila prestement.

– Pas de fraises pour un maréchal de France ? C’est une insulte que vous me faites, petit Notaire de mes deux. Gérard, rassemble les hommes, nous partons. Fais donner la garde et la musique impériale !

Il rajusta sa veste, se passa la main dans les cheveux, ajusta son bicorne et sortit de la pièce.

– Lorsqu’on n’est pas capable d’offrir des fraises à un Maréchal de France, on n’est pas digne de l’avoir à sa table. Je ne vous salue pas Monsieur.

Son cheval blanc était prêt et l’attendait à la sortie de l’étude de maître Höllert.

Le Maréchal Grouchy leva le bras d’un geste théâtral et s’adressa à la troupe massée devant lui.

– Messieurs, hurla-t-il, la France nous appelle, ne la faisons pas attendre !

Puis, se tournant vers Gérard :

– Maurice, faisons comme nous l’avons prévu, passons la Dyle au pont de Munster. Nous couperons la route de Blücher, puisque c’est par là qu’il doit arriver. Prends le commandement de l’avant-garde, je file rassembler l’arrière troupe. Nous nous retrouverons dans dix lieues. Va, Maurice, que Dieu nous garde, et vive l’Empereur !

Et le Maréchal Grouchy retira son bicorne qu’il agita au-dessus de sa tête.

– Vive l’Empereur, vive le Maréchal Grouchy, hurlèrent les hommes d’une même voix. »

Le 18 juin 1815, les troupes de Grouchy arrivèrent à 14 heures à la ferme de la Haye Sainte qu’ils emportèrent aisément, mettant en déroute les troupes de Baring et du général Picton.

– Avançons maintenant vers la plaine qui se trouve derrière ces bois, hurla Grouchy. Nous y retrouverons sa Majesté. Gérard, comment se nomme cette plaine là-bas ?

Maurice Gérard déplia devant lui sa carte de bataille.

– C’est la plaine de Waterloo, Emmanuel !

– Alors allons-y mes braves, et que cette future victoire de Waterloo soit la plus nette possible, pour faire honneur à l’Empereur et à la France ! »

(Le 18 juin 1815, selon la légende, le Maréchal Grouchy, invité à partager la table du notaire Höllert, resta à table plus longtemps que raisonnable afin de déguster un plat de fraises qu’on avait fait chercher spécialement pour lui, car il n’y en avait pas de prévues. Il arriva sur le champ de bataille bien trop tard pour être efficace. Tout le monde connaît l’issue de la bataille. Emmanuel de Grouchy, né le 23 octobre 1766, est mort le 29 mai 1847, à 79 ans, trente-deux ans après Waterloo.)

© JM Bassetti 29 mai 2013 – Tous droits réservés.

 

 

 

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Le retour de l’enfant du pays

28 mai 2013 Amor-Fati

tarbesLundi 17 Juin 1974. Théâtre des Nouveautés. Tarbes. Tous les billets ont été vendus depuis plus d’un mois. Il ne reste plus une seule place depuis longtemps déjà. Elle est attendue. Elle est un peu l’enfant du pays. Elle a vécu ici pendant cinq années, parmi les plus sombres de sa vie. A partir de 1940 et jusqu’à la libération. Une étoile jaune cousue sur la poitrine.

Chaque année, à peu près à la même date, elle vient chanter ici et à chaque fois, elle fait salle comble. Les Tarbais lui font tous les ans le triomphe qu’elle mérite.

C’est qu’on la connait bien ici ! Elle habitait rue des Carmes, une grande maison au portail vert. Certains voisins sont toujours vivants et viennent lui donner des nouvelles de leur famille. Ils parlent ensemble, ils rient, ils se rappellent les souvenirs communs, les soirées au coin du feu, les souvenirs d’école.

Malgré la peur de la déportation, malgré l’injustice de la guerre qui frappe aveuglément hommes, femmes, enfants et vieillards, Monique garde un excellent souvenir de cette ville pyrénéenne. Elle habitait là avec ses parents, ses frères, sa sœur, sa grand-mère et sa tante. Ça en faisait du monde. Une famille soudée, dirigée par un père trop souvent absent, mais attentionné et aimant auprès de ses enfants lorsqu’il était à la maison. Monique se souvient encore avec émotion des belles histoires qu’il inventait le soir pour les endormir, Jean, Régine, le petit Claude et elle. Quelle imagination il avait !  Même après le passage de la ville en zone occupée, toute la famille a pu continuer à vivre tranquillement, comme si la guerre n’était pas là, comme si cette étoile n’avait pas de conséquence pour eux.

Lorsqu’elle a commencé à chanter, elle a promis à ses amis Tarbais qu’elle reviendrait chaque année leur distiller ses dernières créations. Et 1974 ne fait pas exception. Elle est arrivée le dimanche soir, a mangé et dormi chez des amis. Depuis huit heures ce matin, comme elle le fait chaque jour de concert, elle hante le théâtre, teste tous les coins et les recoins, multiplie les répétitions avec son pianiste et son accordéoniste, passe un temps fou à régler la balance avec une précision d’horlogère.

Vingt heures trente. Précisément. La salle est pleine. Les Tarbais discutent entre eux tout en surveillant la scène du coin de l’œil. La lumière diminue doucement jusqu’à s’éteindre complètement. Le lourd rideau rouge est toujours fermé. Soudain, un piccolo commence à jouer, suivi d’un son de violon. Le public se tait. Le rideau se lève lentement. L’introduction musicale est longue, bien orchestrée, bien jouée, bien rythmée, comme elle l’aime. Du coin de la coulisse, Monique regarde d’un œil bienveillant ce public qu’elle aime tant dans cette ville qui, malgré les souvenirs de la guerre, lui rappelle les bons moments de son enfance.

L’introduction se termine. La poursuite s’allume côté Cour. Il est vingt heures trente-quatre. Barbara entre en scène.

Voilà une uchronie comme j’aime les inventer. Refaire la vie pour la rendre plus gaie, plus légère, plus vivable en un mot. Tarbes est le pire souvenir de la vie de Monique Serf. Elle y a connu l’inceste de la part de son père qui venait régulièrement la rejoindre dans sa chambre. Elle y a également connu la dénonciation d’un bon français qui est allé expliquer aux autorités allemandes qu’une famille juive vivait au 5, rue des carmes. Elle a quitté Tarbes de nuit en mars 1942. Barbara a toujours refusé de chanter à Tarbes. Elle a cependant accepté de donner un concert unique au Parvis à Ibos, à 7 kilomètres de Tarbes, tout en précisant qu’elle refuserait de passer par la ville, ni même d’entendre prononcer son nom.

(Le 28 mai 1970, sortait l’album « L’aigle noir » de Barbara. Dans ses mémoires, publiées en 1988, la longue dame brune a avoué que l’aigle noir était la représentation métaphorique de l’inceste subi pendant son enfance.)

© JM Bassetti 28 mai 2013. Tous droits réservés.

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Bienvenue au club

18 mai 2013 Amor-Fati

trenet

En entrant dans le grand salon au bras de Rosa Parks, présidente d’un jour,  il ne s’attendait pas à ce qu’il allait voir. Oh bien sûr, on l’avait bien prévenu :

« Vous allez rencontrer des personnalités éminentes, de tous bords, et qui, à partir de ce jour, seront toutes vos égales. »

Mais quand même, il ne s’attendait pas à ça.

Le premier qu’il aperçut, grand, fort, beau, avec un charisme rarement atteint, fut Jean Marais. Il était debout près d’une colonne de marbre, un verre à la main. Il était en grande conversation avec Robert Capa, le célèbre photographe. Ces deux-là se connaissaient depuis longtemps, l’un ayant photographié l’autre et l’autre ayant été le modèle du premier.

Timidement, il s’approcha.

– Monsieur Marais, je suis vraiment très honoré, balbutia-t-il timidement !

– Ah comme je suis content de vous voir, répondit Fantomas. Je savais que vous seriez là ce soir. Laissez-moi vous dire toute mon admiration.

– N’en faites rien, nous sommes parait-il ici entre nous.

– On se reverra plus tard, cher ami, termina Jean Marais, je serais ravi de trinquer à votre nouvelle accession parmi nous !

Et il reprit sa conversation avec le photographe.

En avançant parmi les invités, il reconnut deux anciens présidents américains : Richard Nixon et Gerald Ford. Ils devisaient tranquillement, forcément en anglais et avec des accents différents. La langue anglaise n’était pas son fort, aussi ne s’attarda-t-il pas.

En passant près de François Brousse et de Roger Garaudy, en grande conversation philosophique certainement, il aperçut Aimé Césaire. Un poète ! Un poète, comme lui. Comme il les aime les poètes, et comme il les comprend ! Comme il comprend leur façon de penser, de vivre, d’appréhender la vie, toute différente de celle du commun des mortels. Lui, il la connait bien l’âme des poètes. Il l’a superbement décrite, il y a déjà plus de soixante ans. Il ne peut s’empêcher de fredonner : « Longtemps longtemps longtemps après que les poètes ont disparu…. »

– Peu de femmes ici, se dit-il soudain. Voyons, voyons… Ah Vivian Leigh, l’inoubliable Scarlett, mon Dieu qu’elle était belle.

Son regard continua à balayer l’assemblée :

– Est-ce Jacqueline de Romilly là-bas ? Il me semble bien, mais je ne suis pas certain. Ah ! Irène Joachim, elle j’en suis certain. Quelle voix elle avait cette femme ! Une des plus belles voix de sopranes jamais entendues. Je me souviens parfaitement d’elle dans Pelléas et Medisande de Debussy. Quelle émotion !

Soudain, il sentit qu’un homme lui frappait fermement l’épaule. Il se retourna. Klaus Barbie se tenait là devant lui.

– Je suis très heureux de vous retrouver ici, Monsieur…

Il ne lui laissa pas le loisir de terminer sa phrase :

– Je n’ai rien à vous dire, Monsieur Barbie. Nous faisons peut-être partie de la même, comment dire… association, mais nous sommes tellement différents qu’il serait préférable que vous vous éloignassiez. Allez donc chercher ailleurs quelqu’un qui accepte de vous faire la conversation. Je ne suis pas de ceux là. Je ne vous salue pas, Monsieur.

Il en était tout tremblant. D’une part de s’être retrouvé face au boucher de Lyon et d’autre part d’avoir eu l’audace de lui avoir dit ce qu’il avait sur le cœur.

Mais ce fut Albert Camus, qui, avec sa gentillesse légendaire, mit fin à l’errance de notre ami parmi les prestigieux invités de cette soirée.

Il frappa doucement son verre avec la pointe de son couteau et attendit le silence. Il dut recommencer car Félicien Marceau et Gaston Bonheur continuaient à discuter sans tenir compte du signal discret mais suffisamment autoritaire.

– Mesdames, Messieurs, commença le Prix Nobel. Comme vous le savez, cette année est notre année et nous sommes heureux de nous retrouver entre nous, et uniquement entre nous. Si nous sommes tous réunis ce soir, écrivains, hommes politiques, musiciens (remarquons la présence parmi nous de Monsieur Benjamin Britten), actrices et acteurs (je salue au passage Burt Lancaster et  Alan Ladd), c’est pour accueillir en notre sein un homme qui a été tour à tour et à la fois poète, écrivain, compositeur, musicien, acteur. Ses mille chansons ont fait de lui un homme reconnu par l’humanité tout entière. Gilbert (Cesbron), toi qui es plus jeune que lui mais qui l’as bien connu, tu ne me contrediras pas si je dis que cet homme est l’incarnation de l’insouciance des années folles, la maturité des trente glorieuses et la sagesse des deux dernières décennies. En ce 18 mai, jour de son anniversaire, je suis, que dis, je, nous sommes heureux d’accueillir dans le club des centenaires pile-poil (comme disent les jeunes) le plus âgé des jeunes hommes, le plus jeunes des vieillards, j’ai nommé Monsieur Charles Trenet ! Monsieur le Fou Chantant, bienvenue au club des centenaires !!»

Charles se sentit rougir jusqu’au bout des oreilles. Il s’apprêta à prendre la parole pour répondre aux aimables paroles de l’auteur de la Peste, mais un tonnerre d’applaudissements et de hourras l’empêcha de prendre sereinement la parole.

Mais voici que la grande porte de la salle des centenaires se referme devant nous. Éloignons-nous doucement, et laissons ces messieurs-dames discuter et se rappeler leurs bons souvenirs, puisque, comme l’a déclaré Albert Camus, ils se retrouvent entre eux, et uniquement entre eux. Un jour viendra où nous serons nous aussi dans la grande salle à palabrer avec des célébrités qui seront également nos égales. En âge du moins.

(Toutes les personnes dont les noms sont en évidence sont nées en 1913 et font donc partie des centenaires pile-poil. Et bon anniversaire à Charles Trenet.)

© JM Bassetti 18 mai 2013. Tous droits réservés.

 

 

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On refait le film

16 mai 2013 Amor-Fati

fondaLa chaleur est étouffante. Tout là-haut dans le ciel, le soleil est à son zénith, disque d’or au milieu du ciel bleu. Sa lumière fait mal aux yeux.

Le désert brille sous les rayons ardents de l’astre du jour. Les grains de mica contenus dans le sable étincellent  comme autant de minuscules miroirs. La lumière est vive. Aucune ombre à l’horizon. Juste deux malheureux cactus brûlés par le soleil et qui finissent de pourrir.

Dans le ciel, les oiseaux sont rares. Ils ont cherché des cieux plus propices ou des arbres qui leur permettraient de passer la journée un peu au frais.

Et pourtant, écrasés sous le soleil et la chaleur,  deux hommes sont là. Immobiles. Depuis vingt minutes déjà, ils se font face et se regardent longuement. Personne ne bouge. Pas un souffle de vent pour aérer un peu cette ambiance tendue. Les regards sont remplis de haine. Les yeux bleus de Frank et le regard vert de l’autre homme, seulement connu sous le nom de « Harmonica ». Frank, entièrement vêtu de noir, immense chapeau sur la tête a le regard froid des hommes implacables. Bleus comme la mer qu’ils n’ont jamais vue, ses yeux sont fixes. Malgré la lumière aveuglante, aucun battement de cil ne vient troubler le regard continu. A dix pas devant lui, se tient « Harmonica », vêtu de clair, impeccablement rasé, un petit sourire ironique aux lèvres. L’heure de la revanche a sonné pense-t-il.

En arrivant, Jack a laissé tomber sa veste noire sur le sable d’un geste désinvolte, persuadé de la récupérer lorsqu’il aura fait ce qu’il est venu faire.

Le temps passe : la main droite à dix centimètres des armes accrochées à leurs ceintures, les deux hommes continuent à se dévisager.

Soudain, le regard de « Harmonica » se trouble. Il se revoit, enfant, sous une arche de brique rouge, brûlée par le même soleil étouffant qu’aujourd’hui. Sur ses épaules, en équilibre, se tient son frère, pendu à la cloche d’appel des bêtes. L’équilibre est précaire, le jeune homme tremble sous le poids mort de son ainé. Et là, il le revoit, il reconnait bien Frank, vingt ans de moins, une barbe de cinq jours, petit foulard noir autour du cou et qui le regarde du même regard froid que cet après-midi. C’est lui, c’est bien lui, aucun doute. Pendant des années, il a attendu ce moment, ce moment de se venger. Avec un sourire ironique aux lèvres, Frank sort de sa poche un harmonica et le coince dans la bouche du jeune homme encore debout.

« Joue, dit-il, joue pour ton frère !

La sueur coule le long du visage de l’adolescent. Là-haut, au-dessus de lui, la vie de son frère ne tient qu’à son courage et à sa volonté de tenir, tenir encore, le plus longtemps possible. Son souffle devient court, saccadé, et chaque bouffée d’air qui sort de sa bouche fait pleurer l’harmonica d’un râle déchirant et sinistre.

Et ce qui doit arriver arrive. N’en pouvant plus, ne pouvant plus longtemps supporter la chaleur, le manque d’air et le poids qui pèse sur ses épaules, le jeune homme s’écroule. Sa tête vient violemment heurter le sol, faisant voler la lourde poussière autour de lui. Au-dessus de lui, il ne le voit pas, mais le devine, son frère ainé se balance, accroché à la corde qui le relie à la cloche.

Une détonation, un coup de feu met soudain fin au long silence qui s’était installé entre les deux hommes. Les deux regards sont toujours fixes, mais celui d’Harmonica se trouble à nouveau. Une larme point au coin de son œil droit. Il porte la main au côté de sa poitrine. Il est touché. Ses pensées vont à nouveau vers son frère, pendu au-dessus de lui. Il le sait maintenant, il va aller le rejoindre.

Harmonica tombe à genoux. La Mort est là, à deux pas, il la voit, il l’entend. Il sait qu’elle va venir et l’emporter loin de ce désert aride. Frank rengaine son arme, s’approche de son adversaire à petits pas, s’agenouille, et comme il l’avait fait vingt ans plus tôt, extrait de sa poche un harmonica, en tous points identique à celui que possède sa victime.

Comme il y a vingt ans, il coince l’instrument entre les lèvres du mourant. Le même son déchirant qu’il y a vingt ans, le même cri, le même râle.

– T’es vraiment trop con, lui dit-il. Depuis le début, je savais qui tu étais.

Harmonica souffle, l’instrument pleure.

– Leçon numéro un : on ne rêve pas quand on se bat en duel. On est attentif à ce qui va se passer. Ton frère ne t’a jamais appris ça ?

Harmonica regarde une dernière fois son adversaire victorieux et, comme il y a vingt ans, s’affale dans la poussière du désert.

– Tu le sauras la prochaine fois ! » murmure Frank, le sourire figé dans un rictus ironique et dédaigneux.

A petits pas, Frank s’éloigne de sa victime, ramasse sa veste, la jette sur son épaule droite et rejoint son cheval qui l’attend quelques mètres plus loin.

(Bon, je suppose que vous avez reconnu la scène finale de « Il était une fois dans l’Ouest », juste un peu arrangée, au moins sur la fin. Ce film de Sergio Leone date de 1968. La légendaire musique est de Ennio Morricone. Charles Bronson y est « Harmonica » et Henry Fonda joue l’antipathique Frank (qui meurt à la fin). Henry Fonda était né le 16 mai 1905. Il est mort le 12 Août 1982.)

© JM Bassetti 16 mai 2013. Tous droits réservés.

http://www.dailymotion.com/video/x1jtwy_il-etait-une-fois-dans-l-ouest_news

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Uchronie britannique

15 mai 2013 Amor-Fati

boleynNous sommes au début de mars 1542. La jeune reine se promène paresseusement dans les allées de l’un des  châteaux que son royal mari lui a offerts. Sa fille Elisabeth, un peu plus de huit ans, marche à ses côtés. Il fait un temps superbe en ce début de printemps. Le roi Henri VIII d’Angleterre est fou amoureux d’elle et la couvre de bijoux et de cadeaux. Il faut dire qu’ils ne sont mariés que depuis neuf ans et que les nuages gris des amours finissantes ne sont pas encore passés au-dessus d’eux. Tout va donc pour le mieux.

Anne fait signe à l’une de ses soixante suivantes :

« Préparez donc mes bagages, Lily, sans rien oublier, nous partons en Ecosse, comme vous le savez et j’aimerais que tout soit prêt rapidement. Pensez surtout à des affaires chaudes, les châteaux sont glacés là-haut !

– Bien Milady, il sera fait comme vous le souhaitez. »

Et la servante, suivie de dix autres jeunes filles, s’éloigne vers sa nouvelle besogne.

Anne est heureuse. Sous un gant de velours, c’est bien elle la véritable patronne de l’Angleterre. C’est elle qui décide tout. L’affreux Henri VIII, tant redouté au début de son règne, lui mange dans la main. Aucune décision n’est prise à la Cour sans l’assentiment de la jeune femme au teint si blanc. Dernièrement, elle a réussi, et elle n’en est pas peu fière, à faire revenir l’Eglise anglaise dans le giron de la chrétienté romaine. Henri VIII, lors de leur mariage, et parce que le pape ne voulait pas annuler son hymen précédente, avait créé un schisme qui avait isolé l’Eglise anglaise. Quelle hérésie ! L’Angleterre vit heureuse sous le règne d’Henri VIII et de la reine Anne. Un couple adulé par tous les sujets britanniques.

 

[ C’est étrange, mais samedi dernier, lors d’un repas chez une amie, nous avons parlé de cette reine. J’ai même dédicacé un livre en la nommant (avec une faute d’orthographe, j’en conviens). Denis, angliciste érudit qui était assis à ma droite, me disait que l’Angleterre ne serait certainement pas ce qu’elle est actuellement si Henri VIII n’avait pas « zigouillé ses bonnes femmes »  (sic !).

Anne Boleyn, puisqu’il s’agit d’elle, ne se promènera jamais en mars 542 dans son château. Sur ordre de son mari, elle a été condamnée à mort le 15 mai 1536 et décapitée à l’épée  le 19.

Et si elle n’avait pas été exécutée ? Après tout, cela pourrait être possible, tant sa vie n’a été, au regard de l’histoire, qu’inexactitudes et suppositions….

Jugez-en plutôt…

Un historien pense qu’elle est née en 1499, un autre en 1512, ce qui est impossible, puisqu’elle a écrit une lettre à son père en 1514. A moins d’avoir été un bébé précoce, cela parait peu probable. Alors, faute de preuves, on a raccourci la fourchette entre 1501 et 1507. C’est déjà mieux.

La voilà donc née, quelle que soit sa date précise. Mais une autre question embarrasse les chercheurs : où est-elle née ? La tradition veut qu’elle soit née au château d’Hever dans le Kent, mais un autre historien, qui en est certain, je le jure, j’en mettrais ma main à brûler, dit qu’elle est née au château de Blicking Hall dans le Norfolk.

La gentille petite fille, aux dires de certains, souffrirait de polydactylie. Elle aurait donc, je vous le confirme, six doigts à une main. Certains jurent devant Dieu que c’est à la main droite, d’autres, tout aussi bien renseignés affirment que c’est à la gauche, et un autre groupe de courtisans qui l’ont côtoyée de près n’ont jamais rien remarqué de tel. Allez savoir !

Ce qui est sûr, par contre, c’est qu’elle avait une tache de naissance dans le cou. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle portait un bijou : pour le cacher. « Ah bon, disent certains, je l’ai pourtant vue souvent sans collier et je n’ai rien remarqué ! »

Une incertitude de plus.

Anne avait un jeune frère et une sœur aînée. Mais vu l’incertitude des dates de naissances respectives, on ne sait pas trop si sa sœur ainée n’était pas en fait sa cadette…

Elle a bien été la femme la plus puissante du royaume, mais elle est vite devenue encombrante aux yeux de son mari. Encore une fois, les incertitudes planent au-dessus d’elle. Pourquoi est-elle tombée en disgrâce ?

Et si, une nouvelle fois, on refaisait l’histoire ? Si son mari ne l’avait pas accusée, certainement à tort, d’adultère, d’inceste et de trahison ? Si les tribunaux n’avaient pas suivi les ordres du souverain tout puissant ? Si le bourreau avait refusé de l’exécuter comme il l’a pensé à un moment.

Alors, certainement que Denis aurait raison et que l’Angleterre ne serait pas aujourd’hui ce qu’elle est. ]

 

(Anne Boleyn, accusée d’avoir eu plusieurs amants, dont son frère Georges, est trainée devant les tribunaux et condamnée à mort le 15 mai 1536. Le roi avait le choix entre le bûcher et la décapitation. Dans sa grande clémence, il a choisi la décapitation à l’épée, et a choisi lui-même un bourreau particulièrement adroit pour que l’exécution soit rapide. Il a suffi d’un seul coup d’épée pour exécuter la jeune femme. Elle avait 29 ans. Elle laissera quand même une grande place dans l’histoire, puisque Elisabeth, sa fille, règnera quarante-cinq ans sur l’Angleterre, sous le nom d’Elisabeth 1ère.)

 

 

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