Chaque jour – 1 Juin 1926 – Suicide probable
« Vous voulez un café, Sergent ?
— Pourquoi pas, ça fera passer le temps. Encore un peu plus de deux heures et on pourra rentrer chez nous. C’est ma troisième nuit de suite, j’en ai un peu marre.
— Plus que demain et on a deux jours de repos, pas vrai Sergent ?
— Ouaip ! Tu as raison, Bill !
— Ah mince, la cafetière est vide, va falloir attendre un peu, Sergent, je vais refaire du café.
— Prends ton temps !
Le sergent Jack Clemmons se laissa aller en arrière dans son fauteuil. Les bras derrière la tête, les lunettes remontées sur le front, il bâilla bruyamment, bouche grande ouverte en se frottant les yeux.
La nuit était calme, le début du mois d’août était habituellement peu chargé dans ce quartier plutôt huppé de Los Angeles. Jack aurait bien sombré quelques minutes pour une mini-sieste, en attendant la fin de sa garde.
Hélas pour lui, le téléphone en décida autrement.
A la première sonnerie, l’officier de police ouvrit un œil et jeta un regard à la pendule du bureau. 4h25 ! Quelle idée d’appeler à cette heure de la nuit !
— Bougez pas, Sergent, j’y vais ! hurla l’officier Bill Watkins depuis la cuisine du commissariat.
— Non, non, j’y vais, finis de faire le café, qu’on le boive tranquille, je prends l’appel et je te l’expédie vite fait.
Le téléphone continuait de sonner. A la quatrième sonnerie, Jack Clemmons se saisit du combiné.
— Commissariat de West Los Angeles, Sergent Jack Clemmons, je vous écoute.
— Bonjour Sergent, Docteur Hyman Elgelberg à l’appareil.
— Bonjour Docteur, qu’est-ce qui vous amène ?
— Venez, venez vite, c’est pour un suicide.
— Merde, se dit-il, un suicide, à deux heures de la fin de mon service… Ah je vous jure, il y en a qui n’ont pas pitié !
— OK, je viens tout de suite. Quelle adresse ?
— 12305 Fifth Helena Drive.
— C’est dans le quartier de Brentwood ça, non ?
— Oui, il faut prendre par South Carmelina Avenue
— OK, je vois bien. Je fais au plus vite. Comptez un petit quart d’heure.
— D’accord, on vous attend.
— Ne touchez à rien surtout !
— Ne vous inquiétez pas. J’ai l’habitude !
— Je me doute. Quel est le nom de la victime ?
Le docteur Elgelberg répondit, mais le policier était déjà en train de reposer le combiné et le nom se perdit en l’air. Qu’importe ! Il verrait bien en arrivant !
— Bill ! hurla le sergent Clemmons, garde-moi du café au chaud. Un suicide Fifth Helena Drive, je serai revenu avant la fin du poste.
— Vous ne voulez pas que je vienne avec vous ?
— Non, non, pas la peine ! Suicides c’est la routine ici, tu sais bien, c’est toi qui as fait celui du vieux la nuit dernière, je fais celui-là ! J’en ai pour une petite heure, histoire de constater et je reviens. »
Le sergent Clemmons attrapa sa casquette, le temps était déjà bien chaud pour un petit matin. A cinq heures du mat’, la température en Californie au mois d’août est bien plus élevée que dans bien des contrées européennes. Il monta dans la voiture noire et blanche de la police de Los Angeles et démarra en trombe. Inutile de mettre le gyrophare et la sirène, la route était dégagée, il ne mettrait pas plus que le quart d’heure promis.
A son arrivée, il constata que la barrière de bois était ouverte. L’officier de police pénétra dans la petite cour pavée entourée d’une multitude de pots de fleurs posés à même le sol. Au loin, en face de lui, derrière un immense palmier qui pointait vers le ciel, il distingua la piscine en forme de haricot, chose courante dans ce quartier riche de la mégapole américaine.
Il arrêta le véhicule devant la porte d’entrée, descendit et frappa à la porte. Une petite minute se passa sans que quiconque ne vint ouvrir. Pas de lumière derrière les fenêtres à barreaux de fer forgé. L’officier posa la main sur son arme de service. Dans le silence du matin, il percevait quand même des bruits de pas et des chuchotements à l’intérieur de la maison, preuve qu’il y avait du monde.
Il frappa à nouveau, plus énergiquement cette fois.
« Police de Los Angeles, vous avez appelé, ouvrez, s’il vous plaît !
— Voilà, voilà !
Le verrou fut tiré, la chaîne de sécurité également et la porte finit par s’ouvrir. Une petite femme à cheveux courts se tenait là. D’un geste, sans un mot, elle attira le policier à l’intérieur de la maison.
Ils traversèrent un vestibule mal éclairé et débouchèrent dans le salon. La décoration était sobre. Une grande cheminée rectangulaire entourée de carreaux de faïence bleus devant laquelle se trouvaient une petite table de bois, un banc assorti et deux fauteuils en osier recouverts de coussins rouges. Au mur, un tableau moderne et une tenture en tissu, plutôt passe-partout comme on dit. Près de la fenêtre, une autre petite table en bois sur laquelle étaient posés un échiquier et une lampe à abat-jour cylindrique.
Au fond de la pièce, une porte était ouverte sur une chambre légèrement éclairée, certainement par une lampe de chevet. La femme entra la première, suivie de près par l’officier de police.
Deux hommes se tenaient dans la pièce et discutaient près de la fenêtre entrouverte.
Sur le lit, la tête dans l’oreiller, était allongée une femme, jeune, visiblement nue, la main droite posée sur le téléphone placé près d’elle. Sur la table de nuit, pêle-mêle, se trouvait une bonne dizaine de boîtes de comprimés pharmaceutiques. Au sol près du lit, une boîte vide de Nembutal, puissant barbiturique (aujourd’hui absolument interdit et utilisé pour les suicides assistés. NDA).
Le drap couvrait pudiquement les fesses de la jeune femme. Ses jambes étaient placées parfaitement dans l’alignement du corps, ce que le policier remarqua immédiatement. Cette position n’est pas celle d’une suicidée par barbituriques. Jack Clemmons sait que ce type de suicide provoque une contraction du corps et plutôt une position en chien de fusil.
— Avez-vous touché au corps ? demanda-t-il aux deux hommes qui s’étaient approchés ?
— Non, non, évidemment », répondit le plus petit des deux.
C’est à ce moment que le policier remarqua la blondeur des cheveux de la victime. Il s’approcha du lit, s’agenouilla pour observer le visage et il la reconnut aussitôt.
Ce 5 août 1962, Marilyn Monroe venait de se donner la mort … ou pas.
HISTOIRE VRAIE. Le 5 août 1962, le sergent Jack Clemmons fut le premier policier à constater le décès de Marilyn Monroe. Beaucoup de choses lui parurent suspectes, notamment la position du corps sur le lit et le fait que la chambre avait été rangée et la lessive faite. Il s’était passé plus de quatre heures entre l’heure de la mort de l’actrice et sa déclaration à la police. Clemmons nota sur son compte-rendu : « Suicide probable », mais il n’en fut jamais intimement convaincu et fut le premier à douter de cette version de la mort de Marilyn. Il fut rapidement remplacé par un autre policier et l’enquête lui fut retirée.
Marilyn Monroe était née le 1er juin 1926.